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03 2022

  .  Par Arnaud QUILTON

Quel encadrement juridique pour le métavers ?

Quel encadrement juridique pour le métavers ?

Le métavers est un mot très tendance depuis le début des années 2020 et plus précisément depuis le milieu de l’année 2021, période durant laquelle FACEBOOK (et sa maison mère, nouvellement dénommée « META ») a largement communiqué sur ce sujet. Depuis, un grand nombre d’entreprises et de politiciens usent abondement de ce terme qui apparaît attester, pour celui ou celle qui en use, d’une certaine forme de modernité.

Pour autant, plus qu’un effet de mode, le métavers apparaît bien être un concept potentiellement révolutionnaire dont les contours nécessitent d’être affinés.

Qu’est-ce le métavers ?

La définition du concept n’est à ce jour pas figée et il existe différentes approches théoriques à ce sujet. Néanmoins, il est possible d’avancer que le métavers ne serait autre qu’un environnement virtuel, connecté et/ou augmenté où chaque internaute pourrait évoluer par le biais de son alter égo dématérialisé, l’avatar.

L’accès à cet univers nécessiterait d’avoir un objet connecté compatible (casque de réalité virtuelle, lunettes augmentées ou encore – bientôt ! – lentilles connectées) et imposerait de choisir entre différentes plateformes de métavers[1].

Selon META (ex FACEBOOK), qui a largement participé à la démocratisation de ce concept au milieu de l’année 2021, les « espaces 3D dans le métavers vous permettront de tisser des liens, d’apprendre, de collaborer et de jouer de manières encore inimaginables »[2].

De ce fait, le métavers pourrait en quelque sorte constituer la quintessence du « web 3.0 ».

Pour rappel, le world wide web était initialement un réseau informatique permettant l’échange de documents et d’informations. Puis il est progressivement devenu, au milieu des années 2000, un endroit où l’individu a pu participer activement à la construction de son image dématérialisée et interagir avec les autres internautes via principalement l’apparition des réseaux sociaux. C’est ce que l’on a qualifié de « web 2.0 ».

Le métavers s’inscrit pleinement dans cette mouvance visant à permettre à l’individu d’accroître encore plus ses relations dématérialisées sur le réseau ; mieux, il vise à les sublimer en mettant à disposition de tout un chacun un univers parallèle où il serait possible de consommer, d’avoir des activités ludiques et même de travailler. Les frontières du cyberespace, jusqu’ici en interdépendance avec un environnement physique, seraient ici magistralement repoussées via la mise à disposition d’un monde totalement parallèle et autonome, potentiellement dénuées d’interaction avec le réel.

Cette autonomie serait renforcée par la présence de monnaie virtuelle (les cryptomonnaies) garantissant le fonctionnement d’une économie spécifique ; elle le serait aussi par la consécration de droits de propriété d’un nouveau genre, via les NFT, ou « jetons non fongibles » permettant d’attribuer un certificat de propriété à un objet immatériel.

Pour autant, le concept étant récent et ses contours encore balbutiants, de nombreuses questions restent en suspens, spécifiquement sur le plan juridique.

Faut-il adapter le droit au métavers ?

Tout d’abord, il convient d’admettre que le métavers est a priori susceptible de déstabiliser les concepts et règles juridiques préexistants car il n’existe pas à ce jour de réglementation spécifique venant l’encadrer. Pire, sa définition et ses contours théoriques sont encore en construction, ce qui le rend particulièrement difficile à appréhender par le législateur.

Cependant, les principales craintes et interrogations dont il fait l’objet sur le plan juridique pourraient finalement s’avérer être bien moins importantes qu’elles n’y paraissent, le droit positif en vigueur étant apte, en l’état, à répondre en tout ou partie à ces problématiques.

  • La gestion des données à caractère personnel sur le métavers

La première des problématiques porte sur la gestion des données à caractère personnel sur le métavers. Sa mise en œuvre sous-tend en effet une diffusion et une exploitation inédite des données de chaque utilisateur : à tous les stades de son utilisation, une multitude de données – et spécifiquement de données à caractère personnel – devra être collectée et traitée par les entreprises en lien avec la fourniture du métavers.

En effet, ne serait-ce que pour l’étape d’identification, l’utilisateur devra être en capacité de prouver son identité et l’utilisation dans ce cadre de la biométrie apparaît être privilégiée par bon nombre d’entreprises travaillant sur ce sujet. Ce sont donc des données dites « sensibles » qui seront captées dans le métavers car produites de façon unique par le corps humain de chaque utilisateur (expressions faciales ; identification par la rétine ; enregistrement de la voix etc.).

De même, l’utilisation du métavers imposera de transmettre et de traiter les données en lien avec le comportement d’un individu. Ce type de données permet, pour rappel, d’établir des statistiques et de déterminer le profil d’une personne (détection des goûts, des préférences ou encore des intentions).

De facto, le volume des données en lien avec le comportement et la biométrie apparaît être sans commune mesure sur le métavers. Pour autant, la réglementation actuelle sur la protection des données (RGPD et Loi Informatique et Libertés modifiée pour la France) apparaît être suffisante pour encadrer leur utilisation sur le métavers : les règles et principes qui y sont énoncés apparaissent être – dans leurs grandes lignes – pleinement applicables non seulement à l’utilisateur mais aussi à toutes les plateformes « éditrices » de métavers. Les mécanismes classiques visant à déterminer le responsable de chaque traitement de données ou encore à informer les utilisateurs sur la finalité de chacune des données collectées sera applicable ; il en sera de même pour les éditeurs d’environnements virtuels qui devront faire en sorte de prendre en compte le principe du « privacy by design » au stade de leur conception.

Les résidents utilisateurs ainsi que les créateurs de métavers seront donc contraints de respecter le cadre règlementaire de leurs Etats et, en l’espèce, du RGPD dont la portée est, pour rappel, communautaire (Union européenne).

  • L’application du droit d’auteur sur le métavers

S’agissant du droit d’auteur, lui aussi apparaît être pleinement applicable au métavers dès lors que l’on s’attarde sur la rédaction suffisamment large « d’œuvre de l’esprit » inscrite à l’article L. 112-2 du Code la propriété intellectuelle français. Ce dernier intègre une liste non exhaustive des différents types d’œuvres pouvant être protégées par le droit d’auteur dont notamment la musique, les images, les vidéos, les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, les œuvres graphiques et typographiques ou encore les logiciels.

De fait, les créations intégrées au métavers apparaissent bénéficier de la protection précitée à la condition qu’elles soient originales c’est-à-dire qu’elles portent l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Dans la lignée de ce raisonnement, toute reproduction d’une œuvre réelle dans le métavers nécessitera là encore l’accord des ayants-droits, conformément au droit positif applicable. Le mécanisme des cessions de droit, traditionnellement mis en œuvre dans ce cas, pourra être appliqué par tout auteur envisageant d’accorder une diffusion de sa création de forme originale sur le métavers.

  • La responsabilité des avatars sur le métavers

Concernant la responsabilité des avatars, il pourrait de prime abord s’agir d’un aspect totalement inédit qui pourrait légitimer, à lui seul, l’intervention du législateur en la matière. En effet, il n’existe pas en tant que tel de régime juridique spécifique permettant d’encadrer la responsabilité des avatars. De ce fait, la doctrine a pu s’interroger sur les conséquences d’agissements illicites entre personnages virtuels (insulte, vol, harcèlement voire agression sexuelle).

Pour autant, de notre point de vue, l’avatar n’apparaît pas – pour le moment ! – agir de façon autonome et derrière chaque personnage virtuel se cache un utilisateur physique. En toute logique, la personne « réelle » devra donc bien répondre des agissements illicites qu’elle aurait perpétrés en ligne via son alter ego dématérialisé. A titre d’exemple, la loi de 1881 sur la liberté de la presse apparaît devoir s’appliquer à l’utilisateur d’un avatar qui insulterait un autre avatar : celui-ci devra donc s’abstenir d’injurier ou de diffamer d’autres avatars sur le métavers au risque de contrevenir à ce texte !

Ce raisonnement, valable pour la liberté d’expression, pourrait vraisemblablement être étendu à d’autres agissements illicites commis au sein d’un environnement virtuel (vol, agression etc.).

  • L’application du droit des contrats sur le métavers

Enfin, le droit des contrats vient parachever la sécurisation juridique des métavers dès lors qu’il est admis que chaque environnement virtuel bénéficie, s’il est sérieux, de conditions générales de vente (CGV) ou d’utilisation (CGU) spécifiques aptes à régir précisément chaque cas d’usage (modalité de fonctionnement du métavers ; modalité d’interconnexion des utilisateurs etc.) ainsi que chacune des problématiques précitées (gestion des données à caractère personnel et des actifs numériques ; droit d’auteur ; droit à l’image etc.).

Le contrat établi entre l’utilisateur et le métavers viendra en quelque sorte synthétiser l’ensemble des droits bénéficiant aussi bien à l’utilisateur qu’à l’éditeur de la plateforme et éludera ainsi bon nombre de questionnements.

En cas de litige, et à la condition qu’il soit bien rédigé, le contrat servira aussi d’outil incontournable pour aiguiller le juge ou l’arbitre dans sa pleine compréhension des éléments en présence. Il convient en effet de rappeler qu’un contrat précis et bien rédigé permet à un tiers de comprendre tout sujet d’apparence complexe, en ce compris les métavers, et donc de trancher en connaissance de cause le litige dont il est saisi !

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Ainsi, aussi révolutionnaire que soit le concept de métavers, ce dernier apparaît pouvoir être, dans ses grandes lignes, régi par le droit positif. En ce sens, le droit des données à caractère personnel, le droit des contrats ou encore le droit d’auteur sont, à titre d’exemples, suffisamment souples pour appréhender pleinement les principaux enjeux juridiques en lien avec le métavers.

Pour autant, compte tenu de son caractère mouvant et du potentiel créatif illimité qui lui est intrinsèquement associé, des adaptations au cas par cas devront certainement être prévues par le législateur afin de permettre à chacun de profiter sereinement de cet espace virtuel. On peut notamment s’interroger sur la nécessité pour le législateur d’intervenir, à court ou moyen terme, sur l’établissement de normes pré-identifiées et uniformisées aptes à garantir la traçabilité des échanges au sein de ces univers.

De même, il est fort à parier que la fiscalité des biens immatériels acquis et/ou vendus sur le métavers, pour le moment dénué de tout encadrement, sera très rapidement passée au crible, l’Etat ne pouvant par essence se priver de nouvelles sources de revenus…

 

[1] FACEBOOK proposera ainsi META pour accéder à son propre univers parallèle. Mais d’autres plateformes, orientées sur le jeu, existent déjà et offrent une idée de ce que pourrait être le métavers, à l’image de SANDBOX qui permet d’acquérir et de revendre des terrains virtuels. D’autres acteurs, tels qu’APPLE, WALT DISNEY ou encore le géant des cartes graphiques NVIDIA planchent actuellement sur la création de leurs propres métavers.

[2] Extrait de la présentation de META, disponible à l’adresse : https://about.facebook.com/fr/meta/