06
11 2015

  .  Par Bertrand BRECHETEAU

Le cas de la défaillance de l’objet du crédit-bail mobilier : aspects pratiques et théoriques

Le cas de la défaillance de l’objet du crédit-bail mobilier : aspects pratiques et théoriques

Les deux hypothèses qui posent le plus souvent problème dans la pratique du crédit-bail mobilier sont celle relative à l’impayé et celle relative à la défaillance de l’objet du crédit bail.

L’hypothèse de l’impayé que le crédit preneur soit in bonis ou sous le coup d’une procédure collective concerne exclusivement les rapports entre le crédit-bailleur et le preneur. Ce ne sera pas l’objet de la présente étude. La difficulté pratique majeure résulte de la défaillance de l’objet du crédit-bail mobilier.

En ce qu’il est soumis au Code monétaire et financier et réservé aux établissements financiers, le crédit-bail mobilier n’est octroyé que par des professionnels aguerris.  La rédaction des contrats  n’est jamais improvisée en sorte que l’hypothèse de la défaillance de l’objet y est de façon usuelle, largement prévue.

La technique contractuelle la plus souvent utilisée consiste pour le crédit-bailleur à donner mandat au preneur pour qu’il gère toute la problématique, notamment judiciaire, née de la défaillance de l’objet. Le crédit-preneur agit donc au nom et pour le compte de son mandant qui est le bénéficiaire du résultat de l’action. Mais le contrat de crédit-bail ne s’en tient pas à cela. Il crée des obligations propres à la charge du preneur : garantir la défaillance financière du fournisseur et assumer la totalité du coût initial du crédit-bail par exemple.

La jurisprudence est aussi venue donner de nombreuses informations sur le régime du crédit-bail. Certains arrêts sont fondateurs du droit du crédit-bail en cas de défaillance de l’objet du contrat. On sait par exemple que le contrat de crédit-bail ne peut pas survivre à la résolution de la vente.

Mais tous ces mécanismes et apports jurisprudentiels ne viennent pas compenser les handicaps auxquels la pratique continue de se heurter.

En effet, les praticiens le constatent chaque jour et la doctrine l’analyse parfaitement, le cas de défaillance de l’objet du crédit-bail met en lumière les insuffisances, voire les incohérences suivantes du crédit-bail :

  • les clauses du contrat de crédit-bail ne sont pas opposables au fournisseur qui ne les a pas acceptées et qui peut s’opposer à leur application à son endroit. Le fait que le bien qu’il a vendu ait été financé par crédit-bail ne le concerne pas contractuellement. Il a pour sa part réalisé une opération de vente ;
  • les conséquences financières de la rupture du crédit-bail pour le preneur constituent un préjudice propre dont le régime juridique n’est pas prévu par le contrat et ne semble pas couvert par le mandat. Cette complication n’est pas évidente à supporter pour celui qui est déjà victime d’une avarie sur un bien souvent essentiel à son activité ;
  • pire encore, le crédit-preneur, par le jeu des clauses contractuelles le liant au crédit-bailleur reste en général garant de la défaillance financière du fournisseur… Il existe en effet en général une clause qui prévoit que l’indemnité due par le crédit-preneur en cas de résolution de la vente sera égale au moins à tous les loyers fixés au contrat, auxquels s’ajoute l’option d’achat, le tout déduction faite du prix de la machine. Ce prix devant être payé par le fournisseur. Or, dans l’hypothèse où le fournisseur est défaillant, le crédit-preneur ne peut pas conserver ou revendre lui-même le bien qui constitue le cas échéant un actif de la procédure collective sur lequel ni le crédit-bailleur, ni le crédit-preneur, ne sont privilégiés. Dans cette hypothèse, le crédit-preneur subit double peine, et même triple peine, car c’est le plus souvent lui qui a avancé tous les frais de la procédure pour faire reconnaître la défaillance de l’objet du crédit-bail ;
  • dans le cas du financement de machines spéciales complexes, le procès-verbal de réception signé par le crédit-preneur, mandaté pour cela par le crédit-bailleur, perd au fond toute cohérence et partant toute légitimité. Il est en effet souvent signé moins pour constater une livraison conforme, que pour débloquer un paiement que le fournisseur exige pour poursuivre la livraison ou l’important travail de mise au point restant à réaliser. Il constitue pourtant en pratique une pierre angulaire invoquée par les crédit-bailleurs et sur laquelle les juridictions s’appuient pour interdire au crédit-preneur d’invoquer un défaut de livraison conforme, obligeant celui-ci à n’agir que sur la garantie des vices cachés, improbable en présence d’une machine complexe ;
  • il s’induit de cette juxtaposition de régimes juridiques, des clauses contractuelles et enfin de concepts nouveaux, une complexité exceptionnelle rendant la rédaction des demandes en justice s’y rapportant extrêmement tortueuses et pour les juges ayant à statuer en cette matière commerciale, la tâche kafkaïenne et probablement décourageante, la tentation étant alors grande de juger irrecevable ou non fondée la demande de résolution de la vente initiale.

Pourtant l’usage du crédit-bail s’est énormément répandu et développé dans la vie des affaires devenant probablement le premier moyen de financement des investissements des entreprises.

Cet engouement, on le sait, se justifie par le fait que tous les acteurs y trouvent leur compte :

  • les fournisseurs, parce que cela permet de vendre plus facilement ;
  • les entreprises, parce qu’elles trouvent là un moyen de financement avantageux : les loyers de crédit-bail mobilier (il en va différemment en matière immobilière) sont une charge déductible immédiatement sans réintégration en fin de contrat, la TVA est elle aussi immédiatement et définitivement déductible, et la capacité d’endettement de l’entreprise n’est pas affectée par cette charge qui ne figure qu’au compte de résultat et non au passif du bilan etc… (Les nouvelles règles comptables IFRS n’affaiblissent en rien ces atouts bien au contraire) ;
  • les sociétés de crédit-bail, car elles fournissent ainsi du crédit avec un régime protecteur, notamment en cas de procédure collective du crédit-preneur où (ce contrat bénéficiant du régime des contrats publiés et en cours), mais aussi parce que ce créancier profite de la reine des sûretés : la propriété directe qu’il conserve jusqu’à complet paiement de tous les termes du contrat.

Cet engouement est tel qu’il conduit à utiliser le crédit-bail au-delà de ce pourquoi il est prévu. On voit ainsi ce type de financement être utilisé pour l’usage de machines ou des logiciels spécialement conçus pour le client (le « bien » est alors fabriqué ou conçu sur mesure et le contrat « primaire » n’est pas un contrat de vente mais un contrat d’entreprise), ou, plus surprenant encore, les contrats de crédit-bail sont parfois utilisés pour financer ce qui est en réalité principalement un service (de surveillance par exemple). La jurisprudence ayant communément validé la qualification de crédit-bail pour ce type d’opération a ajouté à la complexité de la matière.

A contrario de cet engouement, pour ne pas dire ce plébiscite du crédit-bail comme outil de financement, le régime juridique de l’opération reste complexe voire impraticable. La littérature sur le sujet est relativement peu abondante et sauf les excellentes études que lui ont consacrées quelques auteurs, le sujet n’évolue qu’au gré de quelques décisions qui font avancer la matière.

Qu’est-ce donc qu’explique cette distorsion qui rend dans les faits les praticiens et les magistrats en quelque sorte orphelins d’un régime cohérent et simple en particulier dans l’hypothèse de la défaillance de l’objet du crédit-bail ? Il s’agit peut-être de l’idée, à notre connaissance jamais combattue, que le crédit-bail est un contrat, plus précisément le contrat par lequel l’organisme financier met à la disposition du crédit-preneur l’objet du crédit-bail et lui octroie une promesse unilatérale de vente.

Or, dans le droit positif, contrairement au langage courant et aux idées parfois reçues, le crédit-bail n’est pas un contrat. C’est une juxtaposition d’opérations juridiques et de régimes juridiques qui s’imbriquent mais qui ne se mélangent pas.  Il y a dans le crédit-bail bien sûr du droit commun des obligations, mais aussi de la vente, du louage, et il y a aussi, élément fondamental et fondateur même, une opération de financement.

C’est d’ailleurs dans la loi, au seul Code monétaire et financier, qu’on trouve le mot crédit-bail et seulement à l’article L 313-7 de ce Code que figure la définition légale de cette opération : « Opération de location de biens d’équipement ou de matériel d’outillage achetés en vue de cette location par des entreprises qui en demeurent propriétaires, lorsque ces opérations, quelle que soit leur qualification, donnent au locataire la possibilité d’acquérir tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers ».

Aux termes de ce texte précis, le crédit-bail n’est donc pas un contrat mais bien une « opération ».

Ce qui distingue cette « opération » du contrat de crédit-bail c’est précisément que l’opération est elle-même constituée de plusieurs contrats.

Peut-on ainsi réellement dire que crédit-bail n’est « que » le contrat de louage de chose avec promesse unilatérale de vente et que, comme proposé par certains auteurs, le contrat de vente qui le précède ne serait qu’un accessoire, qu’un préalable ?

Nous ne le pensons pas. L’opération de crédit-bail est un tout. Sans la vente initiale, le crédit-bail ne peut exister. Cette vente n’est pas un élément constitutif facultatif, c’est un élément consubstantiel du crédit-bail. Sans cet objet du crédit-bail, il n’y a pas de crédit-bail. C’est donc à tort, selon nous, qu’on appelle par confort crédit- bail le seul contrat par lequel l’organisme financier met à la disposition du crédit-preneur l’objet du crédit-bail et lui octroie une promesse unilatérale de vente.

L’opération de crédit-bail n’existe qu’en présence d’une vente première par le fournisseur à l’organisme financier, laquelle est nécessairement assortie, dans un second temps, d’une mise à disposition avec promesse simultanée de (re)vente par cet organisme financier au profit du crédit-preneur. La jurisprudence qui consacre l’indivisibilité des contrats tend d’ailleurs vers cette logique : le crédit-bail n’est pas un contrat, c’est une opération globale. Si un élément de l’opération vient à être annulé, c’est toute l’opération qui tombe.

Mais en faisant survivre les clauses qui régissent cet anéantissement, la jurisprudence montre les limites du système. Contrairement à la jurisprudence constante en matière de résolution de vente pour vice caché où le vendeur ne peut prétendre à aucune indemnité d’utilisation du bien pendant le temps où il fonctionnait correctement, la jurisprudence n’a pas voulu pénaliser le crédit-bailleur. C’est louable car il n’a aucune responsabilité dans la survenue du vice caché. Mais en laissant subsister les clauses du crédit-bail à son profit sans que celles-ci ne soient nécessairement opposables au fournisseur, elle oblige parfois le crédit-preneur, première victime, à supporter des conséquences de ce vice caché. Les moyens de moduler ces effets sont complexes et aléatoires surtout en cas de procédure collective du fournisseur.

Ainsi le crédit-bail mobilier souffre-t-il probablement de la « vraie-fausse » relation tripartite entre le fournisseur, le bailleur et le preneur. Cette relation est « vraie » parce que sans ces trois là, l’opération de crédit-bail ne peut pas exister, mais elle est « fausse » car le contrat de crédit-bail n’est pas encore aujourd’hui entendu comme constitué par ces trois acteurs. Seul l’organisme de financement et l’utilisateur – futur acheteur – sont considérés comme parties au crédit-bail.

Ce n’est qu’au moment de la commande, au moment de la réception et dans l’hypothèse d’un vice affectant l’objet du crédit-bail, que le crédit-preneur, mais seulement parce qu’il agit comme mandataire du crédit-bailleur, intervient directement auprès du fournisseur. Or à l’exception du moment où il commande le bien, ses intérêts propres peuvent être divergents de ceux du crédit-bailleur au nom duquel il agit pourtant seulement.

Cette casaque unique portée par un jockey qui n’a pas les mêmes intérêts personnels que son mandant est source de bien des problèmes insolubles en pratique.

De lege ferenda, ou tout au moins en pratique, une solution pourrait consister à considérer l’opération de crédit-bail comme une réelle opération tripartite. Chacune des parties y accepterait des risques inhérents à une telle opération complexe en connaissance de cause.

Ce véritable contrat tripartite pourrait s’adapter à ces situations aujourd’hui fréquentes où le bien fourni est en réalité un bien conçu spécialement pour les besoins du client. Il nous semble en revanche que le crédit-bail ne sera jamais adapté pour le financement d’un service car un service ne peut jamais devenir la propriété de celui qui en bénéficie.

Certains penseront inévitablement qu’une telle suggestion est vouée à l’échec car par exemple les fournisseurs refuseront de vendre dans de telles conditions. C’est oublier qu’ils sont vendeurs et qu’ils acceptent déjà très facilement de changer de « client » en facturant non pas l’utilisateur, mais le crédit-bailleur. Pour les projets complexes, la souscription de contrats de financement réellement adaptés aux étapes de la livraison serait source de tranquillité pour les fournisseurs autant que pour les crédit-bailleurs qui sont souvent contraints de trouver des solutions empiriques pour déchiffrer les procès verbaux de livraison avant paiement.

Une telle solution aurait le mérite principal de rendre opposables à tous les acteurs de « l’opération » les clauses de dénouement des opérations de crédit-bail.