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12 2021

  .  Par Arnaud QUILTON

Garantie légale de conformité des produits numériques

Garantie légale de conformité des produits et contenus numériques : quelles obligations pour les sites e-commerce à compter du 1er janvier 2022 ?

Classiquement en droit français, lors de l’achat d’un bien corporel à un vendeur professionnel, tout consommateur bénéficie d’une garantie venant le couvrir contre les éventuels dysfonctionnements ou défauts dudit bien par rapport à sa description ou à l’usage habituel d’un bien d’un même type. C’est ce que l’on dénomme « la garantie légale de conformité ».

Dans ce cadre, le vendeur est présumé responsable de tout défaut survenant sur un bien neuf ou d’occasion vendu à un consommateur pendant une durée de 2 ans à compter de sa délivrance. Il s’agit d’une garantie légale c’est-à-dire qu’elle détient un caractère obligatoire, contrairement à la garantie commerciale qui vient se superposer à la garantie légale en étant librement accordée et paramétrée par le commerçant (article L. 217-21 al. 1er du Code de la consommation).

Concrètement, cette garantie légale permet à l’acheteur d’exiger à son vendeur, sans frais, la réparation ou le remplacement du bien défectueux et, si la réparation est impossible, son remboursement.

Jusqu’ici, seuls les biens corporels bénéficiaient expressément de cette garantie légale de conformité et rien n’était prévu pour les biens numériques, ce qui engendrait bon nombre de problématiques.

Mais face à l’essor considérable de la vente de produits immatériels, il devenait urgent pour le législateur de prévoir un dispositif adéquat apte à pallier cette carence.

C’est finalement chose faite avec les directives européennes du Paquet e-commerce en date du 22 mai 2019[1] et transposées en droit interne par l’ordonnance no 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques[2].

Ce dernier texte renforce la protection accordée aux consommateurs français en matière de conformité des biens et contenus numériques et uniformise son régime avec celui des biens corporels à compter du 1er janvier 2022.

[1] Dir. 2019/770/U, 20 mai 2019 et Dir. 2019/771/UE, 20 mai 2019

[2] Ordonnance no 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques

 

Dès lors, quelles sont les conséquences concrètes pour les vendeurs et les acheteurs de produits numériques au 1er janvier 2022

I-    Le champ d’application de l’ordonnance du 29 septembre 2021

Au préalable, il importe de s’interroger sur ce qu’est un produit et un contenu numérique.

Selon l’ordonnance du 29 septembre 2021, le contenu numérique est défini comme toute « donnée produite et fournie sous une forme numérique ». Entrent donc dans son périmètre, à titre d’exemples, les applications et programmes informatiques, les jeux vidéo en ligne ou encore les abonnements aux plateformes de vidéos ou de formations en ligne.

Le terme de « bien numérique » fait quant à lui référence à tout matériel intégrant « un contenu numérique ou un service numérique ou qui est interconnecté avec un tel contenu ou un tel service, de manière telle que l’absence de ce contenu numérique ou de ce service numérique empêcherait le bien de remplir ses fonctions »[3]. Sont ici concernés les smartphones et, plus largement, tout les objets connectés (montres, télévisions, matériels domotiques etc.).

En revanche, les services financiers et les jeux d’argent et de hasard sont expressément exclus de cette nouvelle réglementation et ce même s’ils sont commercialisés en ligne.

Enfin, il convient de remarquer que l’ordonnance s’applique à tous les contrats onéreux conclus entre professionnels et consommateurs mais aussi à ceux conclus entre professionnels et non-professionnels.

II-    L’obligation d’information renforcée à la charge du vendeur de produits numériques : la nécessaire adaptation des contrats et autres conditions générales de vente du vendeur

L’ordonnance fait peser sur le vendeur certaines contraintes qu’il convient de retranscrire au plus tôt au stade de l’avant-vente. En ce sens, son obligation précontractuelle d’information(s) est renforcée sur toute une série d’aspects, information(s) qu’il convient de reporter au sein de son arsenal juridique (contrat commercial ou conditions générales de vente) :

  • Obligations d’information concernant les mises à jour du bien et du contenu numériques :

L’ordonnance souligne que le vendeur doit fournir toute mise à jour permettant de maintenir la conformité du bien ou contenu numérique.

S’agissant spécifiquement des bien numériques, il doit en outre informer l’acheteur de la durée au cours de laquelle ces mises à jour restent compatibles avec l’usage normal de l’appareil.

Ceci impose donc au vendeur de veiller à ce que les services fournis demeurent utilisables pour l’utilisateur durant la durée du contrat en dépit des évolutions techniques (changement de version du navigateur par exemple) ; et dans l’hypothèse où ceci ne serait pas possible, le vendeur sera tenu d’en informer au plus tôt le consommateur.

  • Obligations concernant la description du produit et du contenu numériques

Comme classiquement prévu par la jurisprudence et par le droit commun des contrats, tout produit et contenu numériques doit être précisément décrit afin que le potentiel acheteur puisse avoir une vision claire des caractéristiques essentielles du bien ainsi que de ses différentes fonctionnalités.

Il apparaît pertinent, toujours au stade de l’avant-vente via par exemple une proposition commerciale ou via l’émission des conditions générales de vente, de parachever cette obligation en y décrivant rigoureusement le bien ou le service vendu. Une telle description est particulièrement pertinente dans le cas de produits numériques complexes et évitera ainsi toute déception ou incompréhension pour l’acheteur.

  • Obligations concernant l’interopérabilité

Conformément au nouvel article R. 111-1 du Code de la consommation, le vendeur doit informer tout acheteur sur l’interopérabilité du « contenu numérique avec certains matériels ou logiciels ». Pour rappel, l’interopérabilité s’entend, au sens du Code de la consommation, comme « la capacité d’un bien, d’un contenu numérique ou d’un service numérique à fonctionner avec du matériel informatique ou des logiciels différents de ceux avec lesquels des biens, des contenus numériques ou des services numériques de même type sont normalement utilisés ».

En d’autres termes, le vendeur se doit de décrire précisément le bien vendu en indiquant, au stade de l’avant-vente, les prérequis techniques nécessaires à l’utilisation et au bon fonctionnement du contenu numérique. Toute contrainte technique spécifique (telle que des limitations d’usage) doit être clairement mentionnée, ce qui a d’ailleurs été consacré – pour les logiciels et les applications – par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire qui indique que le vendeur professionnel doit informer l’acheteur de « l’existence de toute restriction d’installation de logiciel »[4].

  • Obligation liée à la récupération des contenus utilisés en cas de résolution du contrat :

A défaut de précisions par le législateur, cette dernière obligation apparaît courir uniquement pour les biens ou contenus numériques « uniques » (téléchargement d’un fichier audio ou vidéo) mais en aucun cas pour les services dit « continus » (comme peuvent l’être le streaming et la SVOD notamment). En effet, comment pourrait-il être envisageable de restituer des services qui ont été utilisés et diffusés de façon instantanée à la fin d’un contrat ?!

Cette obligation viserait donc à ce que l’utilisateur puisse bénéficier d’un droit à l’utilisation du bien ou du contenu numérique unique une fois le contrat résolu, en ayant par exemple la possibilité de le télécharger – si cela est techniquement possible –.

Mais compte tenu des interrogations techniques et opérationnelles que cette obligation soulève, il apparait plus que jamais opportun que ses contours soient affinés. Tout laisse à penser que le juge viendra à se pencher dans les prochains mois sur cette notion et qu’il en délimitera plus précisément le champ d’application.

III-    Un élargissement des droits bénéficiant au consommateur de biens numériques

Conformément à l’ordonnance précitée, à compter du 1er janvier 2022, tout acheteur d’un bien neuf ou d’un contenu numérique unique (téléchargement d’un fichier musical ou audio) disposera, comme pour les biens corporels, d’un délai de 2 ans pour agir contre le vendeur en cas de dysfonctionnement dudit bien ou contenu numérique. Pour les biens numériques d’occasion, ce délai sera de 1 an.

Dans un premier temps, il pourra exiger la réparation ou le remboursement, sans frais, du produit concerné.

Puis, à défaut de réponse positive du vendeur sous un délai de 30 jours à compter de cette demande, il sera en droit d’exiger le remboursement intégral du produit ou une réduction de son prix.

Pour autant, la situation se complexifie légèrement dans l’hypothèse de la fourniture d’un service numérique dit « continu », comme dans le cas d’un abonnement à un service de streaming par exemple. Dans cette hypothèse – au demeurant très fréquente sur internet -, la durée de la garantie légale s’étendra à la durée prévue au contrat (article L. 224-25-12 du Code de la consommation) mais ne sera plus applicable à la fin effective de l’abonnement – et donc du contrat -, le service ayant été instantanément « consommé » par l’utilisateur.

Là encore, comme pour l’obligation liée à la récupération des contenus en cas de résolution du contrat, la jurisprudence sera amenée à affiner et à clarifier la portée de cette garantie légale pour les services dits « continus ».

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Compte tenu de l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles au 1er janvier 2022, il apparaît opportun pour les vendeurs de produits et contenus numériques de mettre à jour leur arsenal juridique afin d’anticiper toute difficulté concernant la garantie de conformité.

A ce titre, il convient d’ailleurs de souligner que toute une série de sanctions ont été prévues par le législateur en cas de non-respect de ces règles, tant sur le plan civil que sur le plan administratif. A titre d’illustration, en fonction de la gravité du non-respect constaté, les amendes administratives peuvent aller jusqu’à 75 000 euros pour une personne morale.

[3] Article 1, 5°, Ordonnance no 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques.

[4] Article L. 111-1, 5° du Code de la consommation.