08
10 2020

  .  Par Pascal LAURENT

Facebook, une nouvelle brèche ouverte par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation ?

Par un arrêt qu’elle destine à la plus large publication (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 PBRI), la Chambre Sociale de la Haute Cour admet qu’un employeur puisse produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié, si cette production est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée du salarié est proportionnée au but poursuivi.

Étaient confrontés dans cette affaire des Droits fondamentaux consacrés notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme, tel que le Droit de la preuve selon lequel une atteinte à la vie privée peut être justifiée par l’exigence de protection des droits de la défense, à certaines conditions (CEDH 10-10-2006 n° 7508/02 ; CEDH 13-5-2008 n° 65097/01).

En l’espèce l’atteinte à la vie privée était constituée par la production en justice de captures d’écran du compte Facebook privé d’une salariée qui avait posté une photographie d’une nouvelle collection de mode qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société et qui n’avait pas été rendue publique.

L’employeur invoquait à l’appui du licenciement qu’il a prononcé (pour faute grave) la divulgation d’informations confidentielles.

Dans le cadre de la procédure engagée par la salariée pour contester son licenciement, l’employeur a donc produit lesdites captures d’écran pour preuve du bien-fondé de sa décision.

La Haute Juridiction face à cette situation juge en ces termes :

  • « D’abord, si en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la cour d’appel, qui a constaté que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de Mme X…, a pu en déduire que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal. »
  • « Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »

Dès lors, ressort de cet arrêt une ligne de conduite possible pour les employeurs qui veulent utiliser des publications Facebook de leurs salariés pour en user au soutien de leur défense. En effet, pour la Chambre Sociale, « La production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée. »

Par conséquent pour que l’atteinte à la vie privée soit admise, il faut :

  • Que l’obtention de la preuve ne soit pas issue d’un stratagème : en cela la Cour de Cassation ne déroge pas à sa jurisprudence habituelle.

En l’espèce l’absence de stratagème résultait du fait que la salariée avait publié la photographie litigieuse sur son « mur » Facebook, accessible seulement à ses « amis », c’est-à-dire aux personnes que l’intéressée a accepté de voir rejoindre son réseau. L’une d’elle a spontanément donné les captures d’écran à l’employeur qui n’a ainsi pas usé, selon les juges d’un stratagème.

  • Que la production de ces captures d’écran soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve.

En l’espèce, cela a été jugé indispensable car l’employeur ne disposait que de ces éléments pour établir le grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes.

  • Que l’atteinte à la vie privée soit proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, cette atteinte était jugée comme proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

Il y a donc de la part de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation un encadrement stricte de cette possibilité d’utiliser des informations obtenues en portant atteinte à la vie privée des salariés. Les trois conditions posées, aux visas de textes relatifs à des Droits Fondamentaux, imposent d’être rigoureux et prudent dans l’usage d’informations privées des salariées pour user de son pouvoir disciplinaire.

L’analyse de cette décision pourrait aussi nous inciter à conclure que le droit à la preuve ne devrait donc permettre la recevabilité d’éléments de preuve portant atteinte à la vie privée du salarié qu’à condition que l’employeur ne dispose d’aucun autre élément de preuve à même d’établir un comportement du salarié d’une particulière gravité.

Il est également légitime de s’interroger si cet arrêt annonce des évolutions dans d’autre domaines proches comme celui des messageries électroniques personnelles, couvertes par le secret des correspondances. L’employeur tente parfois d’en produire des éléments pour prouver un comportement déloyal du salarié, jusqu’à présent sans succès (notamment Cass. soc. 23-10-2019 n° 17-28.448).

Mais, récemment, la Chambre Sociale a encore affirmé que la boîte mail personnelle d’un salarié, même utilisée à titre professionnel, restait couverte par le secret des correspondances (Cass. Soc.27-5-2020 n°18-00.012).

Cependant, une brèche est-elle ouverte ?

A lire : Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058