28
12 2020

  .  Par Antoine Ragot

Notion d’établissement stable pour une entreprise dans le secteur du numérique

Un arrêt important vient d’être rendu par le Conseil d’Etat réuni en assemblée plénière le 11 décembre 2020 concernant la notion d’établissement stable pour une entreprise dans le secteur du numérique.

La caractérisation d’un établissement stable pour les sociétés qui exercent une activité dans le numérique est toujours difficile puisque la majeure partie de leurs prestations peuvent être réalisées à distance.

La jurisprudence Google en est un parfait exemple puisque la Cour Administrative d’Appel de PARIS avait considéré qu’il n’existait pas d’établissement stable en France puisque le centre de décision se trouvait en Irlande.

Le pourvoi en cassation n’était pas arrivé à son terme puisque l’administration fiscale et GOOGLE avaient entre temps transigés.

Cette fois-ci, le Conseil d’Etat a pu se saisir d’une question quasiment similaire à celle posée dans la l’affaire de Google.

Une société irlandaise avait pour activité la commercialisation de services de publicité en ligne dans le monde entier, à l’exception de l’Amérique du Nord. Elle avait conclu avec l’une de ses sociétés sœurs en France un contrat de prestations de service. Ce contrat, rédigé en termes très larges prévoyait que la société française réalise des services de représentation marketing, d’assistance administrative et de gestion.

La question est donc celle de savoir si un établissement stable peut être caractérisé en présence d’une société française qui rend des prestations à une société dont le siège se trouve dans un autre Etat.

La Cour Administrative d’Appel de PARIS a répondu par la négative à cette question.

Le Conseil d’Etat est venu casser cette décision tant pour l’impôt sur les sociétés que sur la TVA.

Concernant l’impôt sur les sociétés :

L’administration a développé une double argumentation.

En premier lieu, elle a considéré que la société française constituait pour la société une installation fixe d’affaires alors même qu’il existait un contrat de prestation de services entre elles.

En second lieu, elle avait considéré que la société française constituait un agent non indépendant de la société irlandaise.

Le conseil d’Etat dans son arrêt constate que « si la société irlandaise fixe le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assure l’exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l’ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique. »

La circonstance que la société irlandaise signe les contrats n’est donc pas suffisante pour mettre en échec la qualification d’établissement stable. En effet, le Conseil d’Etat relève que la quasi-intégralité des taches sont réalisées par la société française, et qua la société irlandaise n’avait pour rôle que de valider les contrats conclus avec les clients, ce qu’elle faisait de façon automatique.

En outre, les conclusions du rapporteur nous apprennent que la société française employait environ 50 salariés uniquement pour le marché français, alors que la société irlandaise en employait 5 à 7 pour le marché mondial, hors Amérique du Nord.

Concernant la TVA :

Le redressement porte sur les années 2008 à 2012. Or la règle de territorialité de la TVA a changé en 2010.

Pour les années 2008 et 2009, la TVA était due dans l’état dans lequel le prestataire est établi, sauf s’il était caractérisé un établissement stable dans un autre état. Pour ces années la question est donc de savoir ou est-ce que la TVA devait être facturée.

En revanche, à compter de 2010, La TVA est due au lieu où le preneur est établi. Le redevable de la TVA est le prestataire s’il est lui-même établi en France, ce qui est le cas lorsqu’une société dispose en France d’un établissement stable.

La question qui est ici posée pour les années 2010 à 2012 est donc simplement celle du redevable de la TVA. Qu’il y ait ou non un établissement stable, la TVA est due en France. S’il n’existe pas d’établissement stable alors le preneur réalise une autoliquidation de TVA. Dans le cas inverse, c’est le prestataire qui doit collecter et verser la TVA.

Le Conseil d’Etat estime qu’« il ressort ainsi des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l’exécution des fonctionnalités de mise en relation n’est localisé en France, pas davantage d’ailleurs qu’en Irlande. »

Il a donc été estimé que la société française disposait de suffisamment d’autonomie puisqu’elle disposait des moyens humains et des moyens techniques pour réaliser les prestations en France.

Tant pour l’impôt sur les sociétés que pour la TVA, le Conseil d’Etat considère qu’il existe suffisamment d’éléments pour caractériser la présence d’un établissement stable. Il casse ainsi dans toutes ces dispositions l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de PARIS du 1ier mars 2018 et renvoi devant la Cour Administrative d’Appel de PARIS.