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07 2020

  .  Par Josselin Thomain, master 2 droit des affaires parcours droit des entreprises, stagiaire au cabinet AVOCONSEIL, et sous la direction de Bertrand Brécheteau

COVID-19, cas de force majeure ?

Le Covid-19 est apparu avec une telle soudaineté et une telle ampleur que celui-ci a paralysé l’économie. Dès lors, il convient de s’interroger sur la possible qualification de cas de force majeure pour le Covid-19. Mais il s’agit aussi de se tourner vers l’avenir et de s’interroger sur les conséquences d’une telle crise.

L’état du Droit à début juillet 2020

L’article 1218 du Code civil qualifie la force majeure en matière contractuelle comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait pas être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées, qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Il s’agit de se demander si le Covid-19 est tout d’abord un événement échappant au contrôle du débiteur.

Dans le cas d’épidémie, la Cour d’appel de Besançon a, dans un arrêt en date du 8 janvier 2014, considéré que l’épidémie de grippe H1N1 ne pouvait qualifier un événement susceptible de force majeure considérant que ce cas avait été largement annoncé et prévu. De même, dans un arrêt plus récent (18 juin 2018), la Cour d’appel de Basse-Terre a considéré qu’une épidémie de chikungunya ne constituait pas un cas de force majeure.

Contrairement à cette orientation jurisprudentielle, le 28 février 2020, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a déclaré que le Covid-19 sera considéré comme « un cas de force majeure » et en conséquence que « pour tous les marchés publics de l’État, si jamais il y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises, nous n’appliquerons pas de pénalités ».

Si dans les relations entre les entreprises et l’État, le cas de force majeure est ainsi reconnu, qu’en est-il dans les relations contractuelles de droit privé ?

Il s’agit, pour qualifier le Covid-19 de cas de force majeure, de déterminer si les trois critères cumulatifs répertoriés à l’article 1218 du Code civil sont réunis.

Concernant, le caractère extérieur du virus, ce critère est caractérisé sans difficulté.

Il faudra s’attarder d’abord sur la date de souscription du contrat pour déterminer si le Covid-19 peut avoir un caractère imprévisible.

Effectivement si lors de la conclusion du contrat il était possible de prévoir que le Covid-19 deviendrait une pandémie et/ou qu’il était aussi possible de prévoir que les pouvoirs publics prendraient des mesures pouvant constituer des barrières rendant difficile le maintien de la bonne exécution des obligations contractuelles, alors il faudra considérer que le débiteur avait accepté d’assumer le risque de la survenance de ces évènements. Cela reprend la logique développée par la jurisprudence antérieure. Mais force est de constater que pour le Covid 19 particulièrement, d’autres obstacles aussi inédits qu’imprévisibles ont pu rendre difficile la bonne exécution du contrat : mesures de confinement, réorganisation et fermetures d’entreprises, restrictions et interdictions des voyages. Par conséquent, si le contrat a été conclu pendant la propagation du virus, l’acceptation du risque sera facile à démontrer, mais qu’en est-il des contrats souscrits avant la crise ?

Enfin, il convient de s’intéresser au troisième critère de la force majeure, l’irrésistibilité. Cela signifie que le débiteur ne peut pas éviter le phénomène ni en surmonter les effets en adoptant des mesures spécifiques. Dans le cas du Covid 19, ce critère n’est pas facile à déterminer comme l’illustre par exemple le cas précis du transport de marchandises. En effet dans ce cas les mesures pour faire face à l’épidémie de coronavirus pouvaient en apparence exister. Pour autant, elles pouvaient aussi se montrer compliquées à mettre en œuvre : le port de masques ou l’utilisation des gels hydro-alcooliques nécessitent de disposer des équipements cités alors que ceux-ci étaient soit en rupture, soit réquisitionnés par l’État. De ce fait, il paraît légitime pour un dirigeant d’une entreprise de transport de refuser de livrer dans une zone géographique identifiée comme un foyer du virus.

Cela reste donc tout de même encore flou. Seule l’appréciation casuistique du juge comptera. Il conviendra de prendre en compte les circonstances particulières du contrat et les obligations des parties afin de déterminer s’il y a une réunion de l’ensemble des conditions prévues par l’article 1218 du Code civil afin que le débiteur puisse invoquer le cas de force majeure afin de se dégager de son obligation.

Plusieurs arrêts montrent quand même une ouverture pour qualifier le Covid-19 comme cas de force majeure.

Ainsi en mars 2020, la Cour d’appel de Douai a indiqué que l’annulation d’un vol par les autorités italiennes « en raison du risque de pandémie liée au coronavirus », ainsi qu’en « raison des événements sanitaires liés au coronavirus » ou encore « en raison de la situation sanitaire due à la propagation du coronavirus constituait un cas de force majeure ».
Dans un arrêt en date du 12 mars 2020, la Cour d’appel de Colmar a considéré que l’absence à l’audience d’une personne faisant l’objet d’une rétention administrative était due à un cas de force majeure, « en raison de la présence dans le centre rétention, d’une autre personne atteinte du Covid-19 ».

Dans deux arrêts en date du 16 mars 2020, la même Cour a souligné que la Région qui est constituée « de foyers particulièrement notables de l’épidémie, caractérisée par un degré de contagion important et de nature à faire courir des risques réels et suffisamment sérieux à l’ensemble des personnels requis pour assurer la tenue de l’audience en présence du retenu », pour en déduire que ces circonstances « revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles ».

Dans deux arrêts en date du 23 mars 2020, toujours la Cour d’appel de Colmar a retenu l’existence d’un cas de force majeure en raison « de la pandémie covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité publique ».

Ces arrêts, même s’ils émanent presque tous de la même juridiction et concernent pour ceux émanant de la Cour d’appel de Colmar des cas spécifiques de rétention administrative, pourraient être étendus aux contrats. Au vu des différents événements faisant suite au Covid-19, comme la propagation rapide et parfois mortelle du virus, mais également des mesures restrictives prises par de nombreux pays ainsi que de son impact direct sur l’économie, il reste fort probable que les juridictions françaises se montrent favorables à prendre en compte les difficultés rencontrées par les parties à un contrat sous réserve des circonstances particulières d’espèce.

Le Président du Tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, a d’ailleurs considéré dans une ordonnance rendue en date du 20 mai 2020 que le Covid-19 remplissait les conditions de la force majeure prévue dans l’accord-cadre conclu entre EDF et TOTAL DIRECT ENERGIE et donc in fine à la suspension de cet accord-cadre. Il a réitéré dans ce sens pour un accord-cadre conclu entre GAZEL ENERGIE et EDF le 27 mai 2020. Il convient tout de même de souligner que le cas de force majeure était prévu dans le contrat. Mais qu’en sera-t-il des contrats où le cas de force majeure n’était pas prévu ?

Le gouvernement devra sans doute prendre des mesures concrètes afin de pallier ces carences contractuelles comme cela a été le cas pour les voyages. En effet, par l’ordonnance n°2020-315, le gouvernement a ordonné des mesures en cas de résolution des contrats de voyage au motif de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure. Dès lors, les organisateurs de séjours devront si le contrat est résolu entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020 proposer un avoir égal à l’intégralité des montants versés au titre du contrat.
Il convient également de s’attarder sur les effets de la force majeure. L’article 1218 du Code civil dispose qu’« en cas d’empêchement temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Cependant « en cas d’empêchement définitif, le contrat est résolu de plein droit ».

Effectivement, lorsque le cas de force majeure est temporaire et qu’il cesse, le débiteur pourrait s’exposer, dans le cas où il n’a pas exécuté correctement le contrat, aux différentes sanctions pouvant être mises en œuvre par le créancier.

L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 (relative à la prorogation des délais échus et l’adaptation des procédures durant la période d’urgence sanitaire) ne semble cependant pas faire de distinction quant à la cause de l’inexécution.

Aussi, l’article 4 de l’ordonnance dispose que « les clauses pénales, les clauses résolutoires, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pris cours ou produit effet ».

Par conséquent, le créancier devra attendre la fin du deuxième mois qui suit la cessation de l’état d’urgence sanitaire et non la fin de l’évènement ayant les caractères de la force majeure pour faire produire leurs effets aux clauses sanctionnant l’inexécution.

Si le cas de force majeure est définitif, le contrat est résolu de plein droit.

Enfin et dans la mesure où la situation pourrait laisser penser qu’un risque de non-reconnaissance de la force majeure existerait, il pourrait être opportun de s’intéresser à la théorie de l’imprévision nouvellement prévue par l’article 1195 du Code civil.

Effectivement, le covid-19 pourrait être considéré comme « un changement de circonstances imprévisible ».

Cette épidémie peut ne pas avoir été prévue lors de la conclusion du contrat et dès lors cela peut entraîner des coûts supplémentaires pour le débiteur de l’obligation qui ne peut pas en assumer le risque seul.

Ainsi, ce débiteur pourrait demander la renégociation du contrat à son cocontractant. Cette partie au contrat devra cependant continuer à honorer ses obligations pendant la renégociation.

Si la partie créancière de l’obligation refuse ou que les parties ne s’entendent pas pendant la renégociation, alors elles pourront convenir à la résolution du contrat selon les conditions qu’elle détermine.

Elles pourront également d’un commun accord demander au juge de procéder à son adaptation et à défaut celui-ci pourra, à la demande de la partie, réviser le contrat ou y mettre fin.
Dans le cas du covid-19, une épidémie et ses conséquences peuvent parfaitement illustrer un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat (interdiction de déplacements, fermeture d’usines …).

Retour vers le futur du Covid-19

Enfin, qu’en sera-t-il à l’avenir, c’est-à-dire maintenant que cette situation hors norme a été vécue une fois ?

Il est fort probable que la qualification du covid-19 comme cas de force majeure ou relevant d’une imprévision ne pourra être vue que comme un cas d’école. Le covid-19 apparaît comme un événement exceptionnel au vu de sa soudaineté et de son ampleur.

Comme il a été relevé précédemment, les juges considéreront probablement par la suite qu’une telle situation, si elle se reproduisait, ne serait plus imprévisible. Le caractère de l’imprévisibilité fera défaut comme cela est aussi le cas avec les attentats, certaines catastrophes naturelles ou les autres épidémies.

Or, les définitions du cas de force majeure ou de l’imprévision peuvent de manière contractuelle être élargies ou réduites suivant les besoins des parties. En effet, ces notions ne sont pas d’ordre public. Il est donc possible de les aménager au cas par cas dans les contrats.

À la rédaction du contrat, les praticiens du droit devront donc prévoir expressément que le cas du coronavirus ou du moins celui de pandémie comme relevant d’un cas de force majeure.

Dans les limites imposées par la loi et les règlements, il conviendra ainsi de renforcer la clause de force majeure dans le contrat. Il faudra d’abord intégrer la définition de la force majeure dans la clause prévue par l’article 1218 du Code civil.

Il faudra identifier les événements qui pourront rendre applicable la clause de force majeure. Cette identification ne devra pas se faire sous une forme de liste limitative, mais être assez précise afin de rendre identifiable la volonté des parties. Il sera également possible d’exclure des événements insusceptibles d’être identifiés comme cas de force majeure. La clause pourra également prévoir quelles seront les modalités de notification de l’application de cette clause (formalisme, délai …), mais d’un autre côté sous quel délai l’autre partie acceptera la reconnaissance de l’évènement comme cas de force majeure. Enfin, les parties pourront également prévoir quels seront leurs engagements pendant l’évènement constitutif de force majeure : s’il y aura au moins une exécution partielle du contrat, s’il doit y avoir une notification de reprise du contrat…

Concernant la clause d’imprévision, comme pour la clause de force majeure, dans la rédaction, il conviendra de définir l’imprévision comme disposée dans l’article 1195 du Code civil. Les parties pourront également prévoir dans cette clause qu’elles refusent totalement l’application de la théorie de l’imprévision ou prévoir quelles circonstances ne seront pas considérées comme imprévisibles. Pour finir, elles devront également prévoir sous quelles modalités elles notifieront l’autre partie d’une imprévision (délai, formalisme …).

Comme montré, il convient aujourd’hui de ne plus délaisser, dans la rédaction du contrat, ces clauses, mais d’y apporter un soin particulier. Il serait d’ailleurs nécessaire de déterminer quels évènements seraient susceptibles d’être considérés comme imprévisibles avec les parties. Le rédacteur pourra ainsi connaître leurs intentions et donc rédiger ces clauses de manière claire et précise. Cela afin de parer à des appréciations parfois inégales de la jurisprudence.

Par ailleurs, il s’agirait peut-être de s’inspirer de la clause MAC (Material Adverse Change), démocratisée par le droit anglo-saxon, lors de la rédaction du contrat. Cette clause pourrait effectivement apparaître comme un moyen plus efficace et plus sûr afin de permettre aux parties de sortir d’un contrat qui leur est défavorable.